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Récit

Quelques jours plus tôt

On lui avait proposé des soins palliatifs quelques jours plus tôt.

Devant cette possibilité, elle s’est enfermée derrière un mur de résignation. Elle passait sa journée au lit, refusait de faire sa toilette, répondait à peine quand on se préoccupait de savoir comment elle allait. Elle nous avait fermé la porte d’accès à son intériorité.

Elle nous rappelait cette vérité tragique : la mort, c’est seul qu’on l’affronte.

Elle ne voulait pas entendre non plus qu’il était possible malgré tout d’être entouré pour la vie qui restait et qu’une unité de soins palliatifs était le meilleur lieu pour cela. Elle ne voulait pas y aller, et nous ne pouvions que respecter son choix.

Comme elle refusait la plupart des soins, nous avions peu d’occasions de rentrer dans sa chambre. Elle était seule.

 

Un après-midi, je m’apprête à rompre cette solitude en lui rendant visite. Je m’arrête devant la porte, incapable de frapper, incapable d’imaginer comment engager une conversation.

Les soins sont, au-delà d’être un geste technique, une occasion, pour un soignant, de créer un lien avec le patient. C’est souvent quand on passe le gant savonné dans le dos, ou une lotion sur les jambes, que les barrières tombent et que les vérités se révèlent.

Et sans cela, ce jour-là, j’étais démunie. 

Je finis par entrer, persuadée que, deux minutes plus tard, je serai déjà dehors sans avoir pu dépasser le stade du « comment allez-vous ? ».

Je passe la porte, essaie d’avoir l’air assurée en lui disant : « je viens juste vous rendre une petite visite ».

A ma grande surprise, elle m’invite à m’asseoir, comme si j’étais chez elle, et qu’on prévoyait une conversation qui ne se tiendrait pas debout : « asseyez-vous je vous en prie ».

Rapide coup d’œil dans la chambre d’hôpital, on est loin du salon avec un canapé confortable ou un bon vieux fauteuil. Ici, la seule option est la chaise pliable rangée dans le coin de la chambre.

 

Une fois assises, elle sur le bord de son lit, moi sur mon bout de métal, nous parlons. Et la conversation glisse sur un terrain intime, celui qu’elle ne nous avait jusqu’à présent jamais ouvert. Un terrain très intime, trop. Les larmes finissent par couler et elle ajoute : « je préfère ne plus en parler, c’est trop douloureux. » Puis après avoir repris son souffle : « mais restez s’il vous plait, ça me fait plaisir que vous soyez là ».

Comment reprendre la conversation après ça ?

La seule chose qui me traverse l’esprit est de lui parler de chocolat chaud, merveille d’Amérique du Sud dont elle est originaire.

J’aurai pu me taire aussi. Le silence est précieux parfois. Elle m’avait demandé de rester, pas de parler.

Mais sur une chaise inconfortable, dans cette chambre froide d’hôpital, c’est moi qui n’aurais pas supporté ce silence.

Mais grâce à cette chaise, je venais d’expérimenter l’équilibre fragile de la juste distance, cette ligne de crête qu’empruntent tous les jours les soignants. Engagés personnellement dans la relation avec le patient, sans laquelle le soin n’est pas efficace, mais pas trop, sans quoi le risque émotionnel est trop fort.

Quelques heures plus tard, elle acceptait de partir en unités de soins palliatifs. D’autres soignants bien mieux formés à cette ligne de crête prendront le relais. Et là-bas, c’est sûr, la chaise pliante sera remplacée par de bons fauteuils confortables. 

 

La visite est un soin en soi.

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