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LETTRE A LA COULEUR ROUGE
APRÈS CHRISTIAN BOLTANSKI AU 
CENTRE POMPIDOU

22 janvier 2020

Ma chère Rouge,

 

Il va falloir que je revienne…

Je me suis répétée ça à chaque fois que je rentrais dans une salle. Je m’y sentais bien, j’avais envie de rester une éternité. Je crois que c’était avant tout l’absence de blanc qui me reposait, ce blanc qui est partout dans les expos, ce blanc omniprésent. « Cette sorte de blanc qui repousse tout ce qui est inférieur à lui, c’est-à-dire presque tout (…), ce blanc agressivement blanc » (David Batchelor). 

Là, les murs étaient sombres, la lumière très faible. C’était réconfortant.

Et puis, il y avait cette présence que l'artiste crée malgré l’absence. Il rappelle à notre mémoire ces vies qui se sont éteintes, sans fracas. Il fait revivre ceux qui sont partis, avec respect.

J’avais envie de rester une éternité.

Mais midi allait sonner et même si je ne suis pas Cendrillon, je risquais gros à sécher la sortie d’école.

 

Du coup, prise de remords de ne pas avoir pensé à toi une seule seconde, j’ai balayé rapidement des yeux les œuvres que je venais de quitter pour te trouver. Vite, vite. La vie impossible de Christian Boltanski était pleine de trucs. Sa chemise sur une photo d’identité était rouge. A défaut de mieux, et par acquis de conscience, j'ai pris une photo éclair et j'ai filé. Au pire, je reviendrai.

 

Pas très fière de mon attitude, j'ai repris une heure plus tard ma petite photo ridicule.

Et de là, a commencé un voyage qui ne s’est arrêté qu’en fin de journée.

 

Sous la photo d’identité, un bout de lettre. Je ne sais ni de qui, ni de quoi, mais elle m’amuse cette lettre : elle est écrite à la machine à écrire. À la machine à écrire ! Autant dire du siècle dernier… Une vraie chasse au trésor !

Premier indice : le morceau partiellement visible du titre d’une œuvre  «  … l’école … de la Gross … 1938 ».

Et hop ! On revient au troisième millénaire, je Googlise. 

En quelques secondes, j’ai le titre complet (« Les élèves de l’école secondaire juive de la Grosse Hamburger Strasse – 1938 ») et je peux même visualiser des représentations (une série de 40 tirages d’une photo) et le principe : un agrandissement de quelques visages qu’il a sélectionné différents à chaque tirage. Et le cercle qui permet d’identifier l’agrandissement choisi, il l’a crayonné … en rouge. Je fais bonne route !

Encouragée par ton petit clin d’œil, je continue.

 

Ces jeunes filles sont la photo me font penser à Dora Bruder. Évidemment ! Il y a quelque chose de Modiano dans son travail et inversement.

Rebelote, je Googlise. « Modiano Boltanski ».

Et bingo ! France Culture me dit qu’il « a toujours un Modiano dans son sac ». Et du Pérec aussi. Ça devient croustillant. L’Obs confirme Modiano-Pérec, avec une photo de l’artiste qui pourtant me fait douter. Sur un fond (rouge) sobre, le portrait répond bien aux canons graphiques de notre temps. Mais alors pourquoi est-il si jeune ? Tout simplement parce que ce n’est pas lui, mais son neveu Christophe. Christian-Christophe. Tous les deux fans de Pérec et Modiano. Il n’y a pas idée, non plus !

 

L’article est sur la parution de son nouveau roman, La Cache, qui revient sur le passé de sa famille – atypique – avec notamment son père, Jean Elie Boltanski (un linguiste français apparemment), et ses oncles, Christian Boltanski (artiste plasticien qui a le droit à sa deuxième exposition de son vivant à Pompidou), et Luc Boltanski (sociologue français qui a bercé certains mois de mes études universitaires).

Il y a des familles comme ça…

 

Et voilà, grâce ou à cause de toi, je me suis perdue.

J’ai jeté un coup d’œil ce matin à un bout de chemise rouge, et me voilà ce soir dans la librairie d’en bas pour acheter un roman. Avec un peu de chance, la couverture sera rouge…

Avec toute mon amitié,

Stéphanie.

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