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LETTRE A LA COULEUR ROUGE
APRÈS ARROYO A LA MAISON BALZAC

26 février 2020

Ma chère Rouge,

 

Balzac faisait des fautes d’orthographe. 

 

Un instant j’y ai cru et je dois dire que j’ai bien aimé l’idée.

Dans le bureau de l’écrivain, en contrebas de la rue Raynouard, sa présence est presque palpable. Alors qu’à l’extérieur, la terrasse est baignée de soleil et de vent, à l’intérieur, cette petite salle carrée est chaleureuse, la lumière perçant faiblement à travers les vitraux. Un rayon rouge attire mon regard, il dessine une ligne franche sur une feuille de papier exposée sur son bureau. Deux épreuves de son travail sont présentées avec des nombreuses annotations manuscrites. Près de l’une d’entre elles, je lis : « son front (…) ne démantait pas l’expression (…) ». Démantait ? Avec un a ? Sérieux, Honoré ?

 

Je suis prête à me dire que finalement je suis à côté de la plaque sur le suivi académique de mes enfants. A quoi ça sert de reprendre leur orthographe si même Balzac n’y tenait pas ?

Cela m’était déjà arrivé après une exposition de Cy Twombly à Pompidou. Marquée par ses gribouillis, je suis revenue à la maison décidée à laisser ma fille de 10 ans dessiner n’importe comment… Après tout, la capacité à exprimer ses passions est tout aussi importante que la rigueur méthodique, non ?

Je suis prête à prendre cette décision sur l’orthographe, quand je me rends compte dans la salle suivante que la faute n’est pas de sa main, mais qu’il s’agit juste d’une erreur de « typo ». Non seulement, il ne faisait pas de faute d’orthographe, mais en plus il relisait des dizaines de fois les épreuves et corrigeait les erreurs les unes après les autres.

 

L’impression que ce monstre de la littérature n’était pas infaillible n’aura duré que quelques secondes.

Tant pis pour mes enfants…

 

Bercée par sa présence, et admirative de sa force de travail, j’en ai presque oublié que j’étais venue pour l’exposition Arroyo. Je descends. En bas, dans des salles aussi pourpres que le bureau de l’écrivain, les œuvres de l’artiste espagnol sont étonnantes. Des portraits des personnages de la Comédie Humaine sont faits de mosaïques, de morceaux de photos découpés et regroupés par teinte. Sépia pour le visage, noir pour les cheveux. 

 

Quand on s’approche, on voit les pattes avant d’un cheval de course dans le menton du Père Goriot, un paquebot amarré dans une baie sur le front d’Henri de Marsan, une scène de marché dans les joues du Colonel Chabert… Comme si les personnages de Balzac devenaient soudainement habités par des souvenirs d’Arroyo. 

Les travaux suivants sont des mosaïques aussi, mais composées à partir de vieux morceaux de papiers, de ceux qui restent sur la table de travail du peintre pour la protéger et portent la mémoire de ces gestes au travers des taches de peinture ou de café qui y tombent . Là encore, des traces de vie du peintre sur lesquelles se construisent le visage de ceux qui sont nées de l’imagination de Balzac.

 

Mais finalement n’est-ce pas le propre de toute œuvre d’art ? Elle est nourrie de ce qui a construit l’artiste, elle est construite à partir de ce qui a nourri l’artiste. 

Et c’est d’autant plus émouvant que c’est visible.

Avec toute mon amitié,

Stéphanie.

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