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LETTRE À LA COULEUR ROUGE
APRÈS 
GEORGIA O'KEEFFE A POMPIDOU

Centre Pompidou (Paris), le 15 septembre 2021.

 

Ma chère Rouge,

 

 

 

Premier vertige.

Seule devant « Jimson weed / White Flower 1 ». Soudain, l’ombre du cadre se met à bouger. 

Un peu comme si une voiture passait derrière moi et que ses phares projetaient sur le mur une ombre mouvante. Impression irréelle et glaçante dans un lieu aussi clos que celui d’une des salles d’exposition temporaire du centre Pompidou.

En fait, un homme avec une lampe de poche très puissante éclaire le texte écrit à côté de la fleur géante. Il suit avec sa lampe les lignes au fur et à mesure de sa lecture.

Il doit être malvoyant.

Je suis touchée par sa détermination.

 

Second vertige.

Seule devant « Clam and Mussel ». En quelques secondes un groupe de 10 personnes me rejoint avec son guide. Dans un silence absolu. 

Puis le guide commence ses commentaires. Dans un silence absolu.

C’est complètement déroutant. Seules ses mains se déplacent, de son front, à sa bouche, à son ventre.

Ils doivent être malentendants.

Je suis touchée par leur connivence, et légèrement frustrée de ne pas pouvoir comprendre ce qui les a tous fait sourire.

 

Pour toujours j’associerai Georgia O’Keeffe à cette lecture qui fait bouger les ombres et ces commentaires qui font rire en silence.

 

Mais il y aura aussi cette alternance entre concave et de convexe, entre intérieur et extérieur, entre creux et de plein, un va-et-vient permanent, des milliers d’invitations successives à entrer et à sortir.

 

Dans « Oriental Poppies », deux pétales d’un rouge flamboyant se pressent l’un contre l’autre. Entre les deux, une fine langue de couleur écarlate laisse deviner l’espace qui les séparent. On voudrait soulever délicatement ces pétales pour entrevoir ce qui se passe derrière, comme un voile qu’on lève sur un mystère. Ces fines langues de couleur (souvent rouges d’ailleurs), ces espaces en creux, ils sont partout. Ils sont l’entre deux des pétales, le cœur de la fleur, les vallées des montagnes, le ciel entre deux nuages, l’ombre derrière une feuille…

A chaque fois la même impression : notre regard est aspiré, happé, appelé. Il suffirait de franchir le seuil comme Alice, pour pénétrer au-delà, dans le monde des merveilles.

 

Mais je ne suis pas Alice et l’homme à la lanterne ainsi que le guide silencieux me retiennent dans le monde réel. Le premier prend le temps de voir, et le second dit autrement qu’avec des mots.

 

Prendre le temps de voir, et dire sans mots.

Deux invitations de Georgia O’Keeffe elle-même.

 

A propos des fleurs d’abord, elle énumère les mille façons d’être en lien avec elles : les sentir, les toucher, les offrir et dit que « pourtant d’une certaine façon, personne ne voit vraiment une fleur (…) on n’a pas le temps, et voir demande du temps ».

Prendre le temps de voir.

 

Puis à propos de sa pratique : « j’ai découvert que je pouvais dire des choses avec des couleurs et des formes, que je n’aurais pas pu dire autrement, des choses pour lesquelles je ne trouvais pas de mots ».

Dire sans mots.

 

Voilà, ma chère Rouge, deux invitations à habiter le monde, sans pour autant s’empêcher d’imaginer des brèches qui invitent vers un autre monde.

 

 

 

Avec toute mon amitié,

Stéphanie.

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