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LETTRE A LA COULEUR ROUGE
APRÈS 
JAMES TISSOT, L'AMBIGU MODERNE

Musée d’Orsay (Paris), le 23 juin 2020.

 

Ma chère Rouge,

 

Trop.

Il y a trop de monde.

Trop de tableaux.

Trop de détails.

 

Je sais que c’est uniquement parce qu’aujourd’hui je suis épuisée, parce que dans le fond, le monde est un signe de retour à la vie, et la quantité de détails dans les œuvres de Tissot est une vraie merveille. 

Mais, juste là, maintenant, c’est trop pour moi.

Une surabondance qui vient s’ajouter à celle du nombre de défis et de paradoxes de notre temps. Oppressants.

Aujourd’hui, je n’y arriverai pas.

 

Alors je m’assois sur un bout de banc, je ferme les yeux, et je décide avant de les rouvrir que je regarderai uniquement les œuvres où je ne t’y vois pas, ma chère Rouge.

Tout d’un coup, la tension disparait.

Laisser de côté des salles entières, balayer du regard certains chefs d’œuvre, avancer de manière fluide sans piétiner, … 

C’est un affront à la qualité du travail fourni pour monter cette exposition. Je le sais.

C’est un manque à mon devoir d’artiste. Je le sais.

Mais peu importe, je me sens libre, presque reposée et - étonnamment - entièrement disponible.

 

L’apparition médiumnique s’impose doucement. Ce qui semble être de loin une immense mezzotinte, avec ses jeux d’intensité lumineuse dans la pénombre, est décrite comme une « manière noire, épreuve en bleu ». Presque poétique. Je suis subjuguée, même si j’apprends ensuite que la manière noire n’est autre que la mezzotinte. Au moins, mon œil ne se sera pas trompé.

La poésie se prolonge dans le sujet de l’œuvre, celui du grand amour perdu. Et de la folie, peut-être ? La vie de James Tissot semble basculer à ce moment-là. 

Les historiens te raconteront mieux que moi. 

Comme je visite par sauts de puce, je saisis par morceaux. L’abondance de la vie bourgeoise parisienne et londonienne d’abord, puis le grand amour perdu, la séance de spiritisme … et le voyage en Terre Sainte pour saisir la réalité historique de Jésus.

Décousu ? Peut-être dans mes propos. Sûrement dans la projection que j’en fais.

Il a vécu la surabondance, et l’a dépeinte frénétiquement.

Puis a choisi de s’en éloigner pour se consacrer à la vie d’un seul homme, à l’illustration d’un seul livre.

Les esquisses du projet de la fin de sa vie sont en rouge. Tu confirmes que je suis sur la bonne voie. 

Parfois fermer les yeux est un acte de résistance qui peut être fécond.

Fermer les yeux.

Et me voilà avec une mélodie d’Offenbach, qui me trottera dans la tête toute la journée. Celle des garçons de café dans la vie Parisienne  « Fermez les yeux, ne gênons pas les amoureux ».

 

 

Fermer les yeux pour mieux voir.

Faire silence pour mieux écouter.

Laisser de côté pour goûter plus intensément.

Une leçon à retenir.

Avec toute mon amitié,

Stéphanie.

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