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LETTRE A LA COULEUR ROUGE
APRÈS HANS HARTUNG AU MAM

6 décembre 2019

Ma chère Rouge,

 

En sens inverse.

Cette fois, ci j’ai décidé de visiter l’expo en sens inverse. En gros, j’ai commencé par la fin.

J’avais envie de laisser une seconde chance aux toiles des dernières salles, celles des années 80. La dernière fois, en toute fin d’expo, je les avais trouvées bien vides, bien plates…

Cette seconde chance n’a pas été très concluante mais en revanche le sens inverse m’a bien amusée !

 

Après avoir lu la confirmation officielle que tu n’étais pas de ses préférées – Hartung penche plutôt du côté du jaune : « je trouve que plus les couleurs sont froides, plus on respire » - je t’ai trouvée sur une toute petite toile, sur une tache, une marque qui fait mémoire de son geste de plus en plus virulent à mesure que le temps passe et que, paradoxalement, son corps faiblit.

 

Comme tu es seule sur cette petite toile, étonnamment seule et étonnamment vibrante, je m’approche. Et je vois que le secret de ton rayonnement est dans le fait qu’il t’ait couchée sur du papier « baryté ». Baryté, non de baryton, mais de baryte : l’un des minéraux non métalliques des plus lourds qui soient dans la nature, et utilisés essentiellement par nos amis foreurs, dans leurs puits, car apparemment il s’agirait d’un composant des boues de forage pour l’extraction de pétrole et de gaz. (Il faudra que je leur demande confirmation, à mes amis foreurs). Là où elle sert à sublimer les couleurs de Hans Hartung, la baryte devient régulatrice de pression dans les puits de forage. Un petit clin d’œil qu’il existe d’autres points communs entre l’art et le monde du pétrole !

 

Mais finalement ma tache préférée, ma chère Rouge, ne se trouvait pas là, mais quelques pas plus loin sur la tranche d’un châssis, ce petit bord sur les côtés, celui agrafé ou clouté, celui qui maintient la tension de la toile, bref, celui que personne ne regarde.

Comment tu m’as attiré l’œil là ? Aucune idée, j’ai rarement l’habitude de regarder ailleurs que sur la toile. Peut-être parce que la plupart du temps, les bords des œuvres d’art sont soit immaculés, soit cachés par un cadre, soit peints par l’artiste en prolongement de son œuvre sur la toile plane. 

Là cette tache était comme une bavure, un accident du geste, comme une tache d’encre sur les cahiers d’écoliers de nos grands-parents. « Pas très sérieux pour un artiste renommé », je pense instinctivement. 

 

Mais à y réfléchir est-ce vraiment une bavure ? Un accident ne pourrait-il pas faire partie de l’œuvre entière ? Et quel est le statut du bord de la toile, cet entre-deux entre l’œuvre qu’on voit et son dos caché contre le mur ?

 

Dos de la toile d’ailleurs qui n’est pas mieux loti que son voisin le bord… Réceptacle des titres que donnent les artistes à leurs œuvres, titres que considèrent Michel Butor dans Les mots dans la peinture: « ils sont rédigés pour être soumis à l’épreuve de l’empoussièrement et de l’oubli (…). Ils forment une méditation fragmentée sur leur situation au dos de l’œuvre, donc sur le fait que, pour nous, les peintures sont des objets à une seule face noble, comportant un revers honteux ».

 

Méditation qui date un peu.

Mais tout de même…

 

Avec toute mon amitié,

Stéphanie.

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