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LETTRE A LA COULEUR ROUGE
APRÈS SEMIRAMIS CONSTRUISANT BABYLONE

Musée d’Orsay (Paris), le 9 septembre 2020.

 

Ma chère Rouge,

 

Je suis un yaourt.

Je suis un yaourt.

C’est ce que dit ma fille quand elle a besoin de se convaincre que la persévérance l’aidera à venir à bout d’une tâche ardue (quelque chose à voir avec son exaspération devant son incapacité à ouvrir les yaourts faits maison).

 

Je suis un yaourt.

Il m’en a fallu de la persévérance ce matin…

Décidée à profiter de la première semaine de retour à la normale, je me présente ce matin au Petit Palais, pour découvrir ce qui se cache derrière l’intrigante annonce de « l’âge d’or de la peinture danoise ». 

Mal m’en a pris, apparemment je dois être la seule à ne pas avoir anticipé que la rentrée des uns ne n’est pas celle des autres. Les écoliers d’abord, les expos « de la rentrée » ensuite, seulement 3 semaines plus tard. Il y a toujours une marge de progrès possible, ma bonne dame, y compris dans l’apprentissage des rouages de la vie parisienne. Et la barre lointaine d’avoir une invitation VIP et fouler les tapis roses et violets d’ArtParis sur le trottoir d’en face est … lointaine.

Je me réfugie au Musée d’Orsay. Vivement que je me glisse dans un fauteuil du bar, avec un café, et que je me laisse écraser par la puissance du Combat de cerfs de Corot juste en face.

Mais encore une fois ce ne sera pas pour aujourd’hui. Ni la rentrée des expos, ni celles des cafés des musées.

Partagée entre l’agacement et l’amusement, j’erre.

Jusqu’à tomber sur la salle « Degas avant 1870 ». Mais que s’est-il bien passé en 1870 dans la carrière de Degas, pour qu’il y ait une pré-période qui mérite une salle entière au musée d’Orsay ?

Et pendant que les écoliers sont sagement sur leurs bancs, moi je n’en trouve aucun, alors je m’assois par terre, face à Sémiramis construisant Babylone. 

Il est immense.

La perspective est ouverte, les lointains sont doux, les personnages calmes, presque rêveurs. On respire. Majestueuse, la reine assyrienne contemple Babylone qui deviendra, selon la légende grâce à elle, une des sept merveilles du monde antique.

Et toi, ma chère Rouge, tu inondes son cortège, tu pares ses compagnes, par une robe, des plumes, un ruban, une ceinture, un soulier. Une myriade de petits détails féminins qui me réjouissent. Des attributs féminins qui ont été travaillés longuement à la peinture, alors que les structures architecturales de la grandiose ville assyrienne sont seulement esquissées au crayon.

Une tension qui entretient la légende de la puissance de la reine. Une femme dont les origines divines la rapproche d’Hercule, les tentatives guerrières d’Alexandre le Grand, les projets architecturaux et la sagesse dans sa gouvernance des plus grands chefs d’État traditionnellement masculins. 

Une femme entourée de femmes.

Comme dans la cinquième scène de l’acte I de la tragédie de Voltaire, Sémiramis est « appuyée sur ses femmes ».

Ce qui ne l’empêchera pas de finir tragiquement des mains d’un homme, son propre fils.

Avec toute mon amitié,

Stéphanie.

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