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LETTRE A LA COULEUR ROUGE
APRÈS SOULAGES AU MUSEE DU LOUVRE

5 février 2020

Ma chère Rouge,

 

Petite impression de déjà-vu.

Sauf que la dernière fois c’était chez IKEA : embarquée dans un flux de personnes, suivant un couloir sans fin, puis un autre … et très vite cette sensation d’emprisonnement. On ne sait plus où on est, ni comment trouver ce qu’on cherche, et encore moins comment en sortir.

IKEA, soit. On comprend la logique marchande.

Mais le Louvre ?

 

Surtout qu’ils ont décidé de mettre l’expo Soulages dans la même aile que la Joconde. Et qu’ils sont bien gentils mais le seul panneau qui nous indique notre chemin dans l’aile Denon est celui … de la Joconde. Du coup, j’ai erré longtemps en me heurtant à des milliers d’épaules touristes qui se dirigeaient vers le sourire mystérieux de Vinci, j’ai monté beaucoup de marches, j’ai cherché sur un plan le salon carré mais il n’y avait que des numéros de salle, et au bout du bout … enfin je l’ai trouvée !

Une grande salle lumineuse, un havre de paix dans ce musée labyrinthique, un lieu où on se sent reposé par la finitude, par le juste un peu.

Une seule salle, quelques toiles, et la rencontre avec l’Outre Noir.

 

Ce qui me frappe en premier, c’est son geste. C’est un geste précis, pas un geste vif ou brutal, mais plutôt le lent mouvement contrôlé du bras. Les lignes sont droites, les courbes sont proches de la perfection. Il y a une assurance dans ses traits qui m’impressionne. 

Il sait.

Il sait ce qu’il fait.

Il ne sait peut-être pas où il va, mais il sait comment y aller.

Et moi je suis envoutée par son noir, par ses gestes, par ses mots.

 

Et toi dans tout ça, ma chère Rouge ?

Il est impossible de te trouver dans ses toiles. Elles ne sont que noir et lumière.

Alors je cherche ailleurs, et mon regard est accroché par une écharpe, puis un pull, puis un sac. Tu es là à l’extérieur de l’œuvre, comme un rappel que cette œuvre ne peut pas vivre sans ceux qui la regardent. « Cette peinture qui a l’air coupée du monde est cernée par le monde et lui doit son sens » (Soulages). Énigmatique, non ? Mais tellement puissant. Comment expliquer cela simplement ? Si quelqu’un me demande de lui traduire cela, qu’est-ce que je dis ?

Pas la peine de chercher des phrases complexes pleines de sens, je n’ai qu’à lui raconter ce qui s’est passé quelques minutes plus tard  : cherchant le bon angle photo pour saisir le rouge d’un manteau devant le noir d’une œuvre, je m’approche d’un couple. Le ton de leur conversation résonne différemment que celui des autres. Alors j’écoute (oui, je sais… on n’écoute pas aux portes). 

Elle dit « Alors, tu as deux toiles. A gauche, il y a une ligne en relief qui laisse apparaitre une tranche grise ». C’est clair, c’est factuel. Elle décrit la toile. Il répond : « Et celle de droite ? ». Je le regarde. Il est aveugle.

Mon cœur s’arrête.

Il ne voit pas Soulages, il l’entend.

« Cette peinture qui a l’air coupée du monde est cernée par le monde et lui doit son sens ».

Tout simplement.

Avec toute mon amitié,

Stéphanie.

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