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LETTRE À LA COULEUR ROUGE
APRÈS AUGUSTIN ROUART AU PETIT PALAIS

Petit Palais (Paris), le 8 septembre 2021.

 

 

Ma chère Rouge,

 

Petite leçon de philosophie appliquée.

 

Deux dames passent quelques minutes bruyamment dans la salle.

La première devant un des travaux du peintre :

« Oh regarde comme c’est beau. C’est tout simple, il n’y a presque rien mais on s’y sent bien »

La seconde, continuant de marcher, presque méprisante :

« Ben oui, évidemment que c’est beau, c’est pour ça qu’ils sont là »

Tout est dit.

Laquelle a la réponse à la question éternelle du beau ? Est-ce celle qui le voit dans l’invitation à la contemplation, et par là dans le transport vers une émotion singulière ?

Ou est-ce celle qui le voit comme une norme institutionnelle qu’on digère ?

J’ai ma petite idée sur la question.

 

Mais tu me rappelles vite à la réalité du moment, ma chère Rouge. Car au milieu de cette toute petite exposition, si je peux identifier une œuvre qui de loin peut s’approcher d’une expérience de la beauté, c’est un tableau incontestablement … rouge (et peut-être son voisin jaune aussi).

 

Côte à côte, deux natures mortes aux fleurs, peintes à l’œuf toutes deux, légères dans le traitement, académiques dans la composition, classiques dans le soin accordé à l’exercice de transparence dans le verre et l’eau des vases.

Mon coup de cœur rouge est une composition presque symétrique. Dans le fond un livre ouvert, un traité mais je ne distingue pas de quoi. Devant lui, le centre presque méticuleusement placé devant la reliure centrale du livre un pot de faïence dans lequel est posé un vase avec deux tiges de glaïeuls rouge disposées en croix. Puis au premier plan, un livre rouge fermé à droite et un couteau de cuisine à gauche. Les tranches des pages du livre sont rouges aussi. 

Le rouge est ancien, tournant vers le rose. Très dilué, il laisse entrevoir la toile derrière. Le dessin est assuré, il n’y a pas d’hésitation. Les formes sont franches, clairement délimitées par un trait sans équivoque, y compris les fragiles pétales des glaïeuls.

Il n’y a pas de doute dans ce tableau.

Il n’y a peut-être même pas de subtilité.

Et pourtant c’est doux. La lumière est basse, elle se pose délicatement sur les pages du livre et les pétales tombantes des glaïeuls. Comme toute nature morte, la composition est pensée, organisée. Et pourtant on imagine un meuble dans le coin d’une cuisine, où chaque objet a fini par atterrir là, au rythme des habitudes de ceux qui la peuplent.

 

Un peu comme nos deux dames finalement, l’une est dans la brutalité de l’évidence, l’autre dans l’émerveillement apaisé.

 

Je me retourne et les regarde. Je souris. L’une d’entre elles a un chemisier éclatant : rouge. Est-celle qui correspond à mon inclinaison naturelle de la réponse à la question philosophique de la beauté ? Je n’en doute pas un instant.

 

Avec toute mon amitié,

Stéphanie.

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