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Récit

Sur la table

Thérèse rentre de vacances ce matin-là, avec un paquet de chouquettes.

Entre générosité et rituel.

Ici ou ailleurs, un paquet de chouquettes offert est la promesse d’un peu de douceur partagée.

A l’hôpital, il annonce cette pause du matin, un petit déjeuner qu’on prend ensemble, avec celles et ceux qui n’ont eu pas le temps, ou pas la force, de le prendre à la maison, le réveil ayant été trop matinal.

 

Les premières fois, ce petit déjeuner, une heure seulement après notre prise de poste, surprend. Il coupe l’élan d’une journée de travail qui commence à peine. Quelques minutes à noter les transmissions de l’équipe de nuit, quelques minutes à faire un premier tour des chambres, et hop, on se retrouve en salle de pause. Il faudrait peut-être bosser un peu avant de se reposer, non ?

Mais pour beaucoup, c’est un petit coup de jus après une matinée qui n’a pas attendu la prise de poste pour commencer : un réveil aux aurores, un baiser trop fugace sur des joues encore endormies, un trop long séjour de nuit dans les transports en commun. Ce petit coup de jus est comme un nouveau réveil, le vrai, celui qui sort de l’engourdissement et de l’arrachement douloureux aux siens. 

Un réveil au sein de l’autre famille, celle de l’hôpital.

On reprend le relais de ceux à qui on avait confié les âmes et les corps de nos patients juste avant la nuit. On les laisse repartir pour retrouver, eux aussi, les leurs. 

 

Sur la table, le paquet de chouquettes, dans lequel se plongent les mains nombreuses de l’équipe de jour, devient le point de ralliement. On y confirme, avec une petite note sucrée, que c’est ensemble qu’on traversera cette journée.

Car sans l’équipe, rien ne tient. Ni les soignants, ni le soin.

Il est facile de croire un instant que, seul, on peut très bien y arriver. Qu’en prenant le temps, on le fera même tellement mieux que notre collègue qui manque de bienveillance, de technicité, ou de sens pratique. 

Mais c’est faux.

Déjà le temps peut manquer, et puis rien ne peut se faire, à l’hôpital, sans confiance. Confiance en soi, confiance en celui qu’on soigne et surtout confiance en l’équipe.

C’est cette confiance d’abord, en l’équipe qui va prendre le relai à la fin de la journée, qui nous permet de ne pas emporter chez nous toute l’intensité des soins.

C’est cette confiance ensuite, en nos collègues qui sont présents quand on ne l’est pas, qui permet de ne pas se sentir indispensable à un patient. 

Car une patiente âgée qui nous rappelle notre grand-mère, n’est pas notre grand-mère. Et le collègue qui ne lui caresse pas la main avant les soins alors que ça la rassure, ou cette collègue qui insiste trop pour qu’elle mange un peu alors qu’elle n’a pas faim, est aussi légitime à en prendre soin qu’un autre.

Ce collègue sera peut-être celui qui, quand on n’y verra plus clair, identifiera un risque et réagira plus vite ; et cette autre collègue sera peut-être celle qui posera la main sur la nôtre, quand l’émotion sera trop forte, pour nous inviter à revenir à la réalité.

 

Les chouquettes, et le temps de pause partagé, même si c’est un peu tôt pour moi, cimentent les fondations de cette confiance, en équipe.

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