Quand elle entre dans la salle, le silence se fait.

Son rouge à lèvres aujourd’hui est étincelant.

Elle est en talons, tailleur, chemisier fluide et porte un foulard de soie noué comme une cravate. 

Elle glisse, légère, jusqu’au bureau et nous sourit.

Sa tenue est très élégante, mais ce n’est pas anormal. Elle y accorde - depuis le début de la formation - une importance quasi-religieuse : une réaction à ces années infirmières de blouses blanches et de baskets informes ?

Ce qui attire mon attention d’ailleurs ce n’est pas la tenue dans son ensemble, mais son foulard.

Un foulard de soie.

Un foulard de soie noué avec une attention toute particulière.

On dirait un foulard Hermès.

Elle a fait, aujourd’hui, dans cette salle de cours, entrer le luxe.

Jusque-là tout va bien, la promo elle-même est un exemple de diversité.

 

Le foulard Hermès prend une tout autre tournure symbolique quand elle annonce quelques minutes plus tard qu’elle veut faire de nous « des cerveaux sur pattes ».

L’expression est maladroite.

L’image dérangeante : je vois l’épouvantail du Magicien d’Oz qui demande à avoir un cerveau et tient à peine debout sur ses jambes de paille.

L’intention est noble, cependant. On sait depuis le début qu’elle défend becs et ongles une valorisation du métier d’aide-soignante. Et cela passe nécessairement par une formation de qualité, dans laquelle elle s’est engagée corps et âmes en sa fin de carrière.

L’intention est noble, mais l’expression d’une grande maladresse.

Sans le foulard Hermes, je n’aurai peut-être pas relevé.

Ce bout de tissu voile mon jugement. Et c’est une colère sourde qui s’empare de moi l’espace d’un instant.

On ne peut pas vouloir redorer le blason d’un métier terni par des préjugés, tout en ayant autant sur les personnes qui font le choix de s’y engager.

Je suis admirative de beaucoup de mes camarades qui ont brillé cette année par leur intelligence, leur curiosité, leur soif de connaissances. Pourquoi sous-entendre qu’elles n’auront un cerveau qu’après la formation ?

 

Dommage, il était beau son foulard.