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Récit

Il fera un bon médecin

Elle n’a vraiment pas de chance.

On m’a prévenue : « Déjà ce cancer qu’elle a, il est super rare. Mais alors là, le deuxième qui vient de se déclarer, encore plus. Quant à la combinaison des deux, laisse tomber, c’est le deuxième cas dans le monde. ». Je me demande comment on peut dire avec autant d’assurance qu’il y a seulement deux cas dans le monde.

Cette patiente est donc un cas. 

Parce que non seulement elle a son double cancer rarissime, mais aussi parce que ce cancer crée un plaie béante ouverte dans son abdomen, que seuls les spécialistes de plaies peuvent soigner, et que l’odeur qui s’en dégage est vraiment nauséabonde, et qu’en plus elle a une poussée d’herpès génital qui est affreusement douloureuse, qu’elle a perdu 15kgs en 2 semaines, …

Bref, elle est sous surveillance rapprochée.

Malgré cela, elle est stoïque.

Elle est stoïque : elle ne parle que pour répondre succinctement aux questions posées.

Elle est stoïque : elle ne fait que froncer les sourcils et tendre ses muscles quand on lui fait mal en changeant son pansement.

Elle est stoïque : elle ne dit rien quand elle voit les soignants défiler les uns après les autres, grimaçants, incommodés par l’odeur que son corps dégage.

Elle est stoïque : elle accepte son statut de « cas » et ne grogne jamais sur l’attitude des équipes.

Un matin, épuisée, elle demande qu’on l’aide à faire sa toilette, tout en restant au lit.

Nous sommes deux, nous prenons le temps qu’il faut. Il le faut car son poids, son alitement, sa plaie, son herpès rendent le soin complexe.

Elle essaie de se mettre un instant sur le côté, nue, pour qu’on puisse accéder au dos. Opération délicate, car sa plaie est très douloureuse. Pour faciliter le mouvement, on ôte tout encombrement dans le lit : drap, oreiller, serviette … et c’est à ce moment que trois médecins, le chef de service, un interne et un externe décident d’entrer dans la chambre.

« Ça tombe bien que vous soyez en train de faire la toilette, déclare le chef, nous avons besoin de l’ausculter ». 

Crispation de la soignante en moi : la toilette est un moment où l’intimité du patient est fragilisée, mais pourquoi donc débarquent-ils comme ça en plein milieu de soin sans y prêter attention ? Mais voilà, ce sont des médecins, et la hiérarchie hospitalière opère : lâchement, on se tait. J’ai juste le temps de couvrir le haut de son corps avec le seul bout de drap disponible. Elle me sourit. 

Auscultation rapide. Devant puis derrière. « Madame je vais prendre une photo de vos fesses pour voir l’évolution », et voilà ses fesses dans l’Iphone du médecin, repartant à travers les couloirs de l’hôpital.

Le calme est revenu, on reprend, elle est toute découverte, les draps sont en boule, l’eau est froide. Je grogne. Elle me sourit et me dit : « Le petit interne est vraiment bien. Il fera un bon médecin ».

En quelques secondes, elle désarme ma colère. Elle qui vit avec l’injustice de la maladie, la douleur, l’incertitude, la perte d’autonomie, d’intimité, de confort, elle, au milieu de son lit défait et de la tourmente, rompt un instant son silence, avec un sourire, pour reconnaitre la valeur de ce jeune interne.

Alors je décide de croire, avec elle, qu’il va effectivement devenir un bon médecin.

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